Textes d'expositions / Exhibition texts

Charlie Chine « 41,3* »

Exposition de Charlie Chine, à la galerie Éponyme, Bordeaux
26.03-07.05.2022

Charlie Chine habite. Elle s’approprie l’espace, le détourne et le transforme. Elle s’attaque ici au plus reconnu des dispositifs scéniques dans le monde des arts visuels : le White Cube. Prenant appui sur ce modèle aseptisé et atemporel imposé à présent comme une norme tacite par les institutions, Charlie Chine s’aventure à défier la fonction première du lieu afin de faire éclater le paradoxe qui fera œuvre.
De forme rectangulaire, des murs blanc mat, un sol neutre, un éclairage homogène, le White Cube est un territoire vide de sens, celui d’une attente interminable de la création à venir. Il possède ainsi les mêmes normes de présentation et la même fonction que tous les lieux transitoires qui desservent un avant et un après, et particulièrement celui de la salle d’attente.
La salle d’attente est vue aujourd’hui non plus comme un espace de confinement servant à contrôler les entrées et les sorties mais plutôt comme un lieu à haut potentiel en matière de prévention, de communication et propice à l’observation. Reprenant ainsi les formes et les codes de la salle d’attente moderne , cette installation permet de profiter d’un temps assis à regarder les œuvres aux murs, à feuilleter les magazines, considérer l’autre et à se demander comment l’aborder, à rêvasser devant une maquette, à communiquer, à faire salon.
C’est au travers de ce dispositif commun à tous que l’artiste déjoue ainsi la vigilance du visiteur propulsant inconsciemment celui-ci dans le rôle d’un candidat amener à passer un Bilan de compétences. Patientant confortablement dans la salle d’attente du secrétariat de la DRH, il passera alors les étapes d’un processus mental où chacune de ses observations sur les divertissements à disposition se verra confronter à la normalisation dont il est l’objet.
En fin de parcours, l’accès au secrétariat révèlera le paradoxe de cette installation. Le Bilan de compétences proposé est en réalité une tentative de dresser le portrait d’artistes plasticiens actuels à travers 60 questions sur la valeur de l’artiste et de son œuvre. Ce questionnaire inspiré de bilans de compétences proposés par certaines entreprises pour réévaluer leurs employés, par l’ANPE par exemple ou lors de reconversions professionnelles pour «trouver sa voie», ont été ici modifiés et adaptés au monde de l’art afin de définir la forme et le sens du métier d’artiste.
C’est donc au cœur de la galerie, temple de la marchandisation de l’art ayant pour intérêt la vente d’un produit fini que Charlie Chine créé le paradoxe par la construction de tout un complexe dédié à la figure de l’artiste. Ce parcours rationalisé, réflexif et participatif basé sur des protocoles strictes interroge sur la question même de la production plastique d’une œuvre ainsi que sur la compréhensibilité (et l’absurdité) des normes sur lesquelles se fondent notre société.

© Eléonore Gros, 2022

Texte paru dans Point Contemporain